Hello Sadness

À Peine Défigurée

Adieu tristesse
Bonjour tristesse
Tu es inscrite dans les lignes du plafond
Tu es inscrite dans les yeux que j'aime
Tu n'es pas tout à fait la misère
Car les lèvres les plus pauvres te dénoncent
Par un sourire
Bonjour tristesse
Amour des corps aimables
Puissance de l'amour
Dont l'amabilité surgit
Comme un monstre sans corps
Tête désappointée
Tristesse beau visage.

-P. Eluard. (La vie immédiate.)

Silvino Mendonça, 2014

Silvino Mendonça, 2014

@ryanmcginleystudios

@ryanmcginleystudios

Bonjour Tristesse

C'est alors qu'Anne apparut; elle venait du bois. Elle courait, mal d'ailleurs, maladroitement, les coudes au corps. J'eus l'impression subite, indécente, que c'était une vieille dame qui courait, qu'elle allait tomber. Je restai sidérée: elle disparut derrière la maison, vers le garage. Alors, je compris brusquement et me mis à courir, moi aussi, pour la rattraper.

    Elle était déjà dans sa voiture, elle mettait le contact. J'arrivai en courant et m'abattis sur la portière.

    - Anne, - dis-je, - Anne, ne partez pas, c'est une erreur, c'est ma faute, je vous expliquerai...

    Elle ne m'écoutait pas, ne me regardait pas, se penchait pour desserrer le frein.

    - Anne, nous avons besoin de vous!

    Elle se redressa alors, décomposée. Elle pleurait. Alors je compris brusquement que je m'étais attaquée à un être vivant et sensible et non pas à une entité. Elle avait dû être une petite fille, un peu secrète, puis une adolescente, puis une femme. Elle avait quarante ans, elle était seule, elle aimait un homme et elle avait espéré être heureuse avec lui dix ans, vingt ans peut-être. Et moi... ce visage, ce visage, c'était mon œuvre. J'étais pétrifiée, je tremblais de tout mon corps contre la portière.

    - Vous n'avez besoin de personne, murmura-t-elle, ni vous ni lui.

    Le moteur tournait. J'étais désespérée, elle ne pouvait partir ainsi:

    - Pardonnez-moi, je vous en supplie...

    - Vous pardonner quoi?

    Les larmes roulaient inlassablement sur son visage. Elle ne semblait pas s'en rendre compte, le visage immobile:

    - Ma pauvre petite fille!...

    Elle posa une seconde sa main sur ma joue et partit. Je vis la voiture disparaître au coin clé la maison. J'étais perdue, égarée... Tout avait été si vite. Et ce visage qu'elle avait, ce visage...


At that moment Anne appeared from the direction of the woods. She was running, clumsily, heavily, her elbows close to her sides. I had a sudden, ghastly impression of an old woman running toward me, that she was about to fall down. I did not move; she disappeared behind the house, going toward the garage. In a flush I understood and I, too, began running, to catch her. She was already in her car starting it up. I rushed over and clutched at the door.

"Anne," I cried, "Don't go. It's all a mistake! It's my fault. I'll explain everything!"

She paid no attention to me, but bent to release the brake.

"Anne, we need you!"

She straightened up, and I saw that her face was distorted. She was crying. For the first time I realized that I had hurt a living, sensitive creature, not just a personality. She, too, must once have been a rather secretive small girl, later on an adolescent, and after that a woman. Now she was forty and all alone. She loved a man, and had hoped to spend ten or twenty happy years with him. As for me... that poor miserable face was my doing. I was petrified. I trembled all over as I leaned against the car door.

"You have no need of anyone," she murmured. "Neither you nor he."

The engine was running. I was desperate; she mustn't go like that!

"Forgive me! I beg you..."

"Forgive you! What for?"

The tears were streaming down her face. She did not seem to notice them.

"My poor little girl!" she said.

She laid her hand against my cheek for a moment then drove off. I saw her car disappearing
around the side of the house. I was irretrievably lost. It all happened so quickly. I thought again of her face.

-Françoise Sagan, Bonjour Tristesse